La boiterie est l’un des motifs les plus fréquents de consultation en orthopédie pédiatrique. Elle est révélatrice d’un grand nombre d’affections de l’enfant.

I) DÉFINITION

Selon le dictionnaire Robert, on désigne sous le terme de boiterie l’action de marcher en inclinant le tronc plus d’un côté que de l’autre ou alternativement d’un côté puis de l’autre.
Toute démarche n’est donc pas une boiterie. Marcher avec un équin du pied d’un ou des deux côtés ne provoque pas de bascule du tronc, ce n’est donc pas une boiterie. L’inégalité de longueur des membres inférieurs, contrairement à une opinion répandue, ne fait pas boiter car elle ne s’accompagne pas d’inclinaison anormale du tronc. La démarche “allumeuse” qui consiste à laisser tomber le bassin (la fesse) du côté opposé à l’appui à chaque pas, mime le signe de Trendelebourg que nous décrirons plus loin, cependant sans bascule du tronc et ce n’est donc pas une boiterie non plus.

II) DIFFÉRENTS TYPES DE BOITERIES

C’est en regardant marcher l’enfant qu’il est possible de distinguer deux types principaux de boiterie.
La boiterie d’esquive est la plus facile à expliquer. Lorsqu’il y a une douleur d’un pied, d’une jambe, d’une cuisse, du genou, de la hanche, on évite de prolonger l’appui de ce côté. Le médecin entend et voit le boiteux qui retombe sur le côté indolore, à peine a-t-il pris appui sur le côté douloureux. Le tronc chute du côté indolore lors de l’appui sur le côté douloureux.
La boiterie d’équilibration est provoquée par une insuffisance d’un groupe musculaire majeur, essentiellement les abducteurs de hanche (moyen fessier) ou les extenseurs de hanche (grand fessier), le quadriceps ou le triceps. La boiterie s’explique par la nécessité d’éviter la chute du bassin du côté opposé au membre inférieur en appui. Le sujet doit rejeter le tronc du côté de l’insuffisance musculaire afin d’éviter de se déséquilibrer. Contrairement à la précédente, elle n’est jamais douloureuse et presque toujours ancienne.
Nous donnerons trois exemple de boiterie :

  1. La boiterie d’insuffisance du moyen fessier. En appui unipodal, au repos, le bassin bascule du côté opposé au membre portant lorsque l’enfant se tient debout sur le membre malade alors qu’il est parfaitement horizontal chez le sujet normal. Ne pouvant redresser le bassin, l’enfant incline le tronc du côté qui repose sur le soi pour le ramener dans la ligne de gravité. Cette chute du bassin s’appelle le signe de Trendelebourg, la chute du tronc, la bascule des épaules s’appellent le signe de Duchêne.
  2. La boiterie d’insuffisance du quadriceps. Elle est due à un lâchage du genou en appui sauf si les extenseurs de hanche et le triceps peuvent suppléer à l’absence de quadriceps sinon l’enfant doit se pencher en avant pour faire tomber le poids du corps en avant de l’axe de flexion extension du genou. Le même type de boiterie avec “salutation” se rencontre lorsque la hanche est en flexion fixée.
  3. La boiterie due à la paralysie ou l’insuffisance des extenseurs de hanche. En appui, le bassin bascule en avant et pour ne pas tomber, l’enfant doit rejeter le tronc en arrière de l’axe de flexion-extension de la hanche. C’est la boiterie avec plastronnement.

Une enquête très détaillée doit permettre de découvrir la cause de la boiterie.
a) Tous les éléments recueillis par l’interrogatoire sont importants :
– Age de l’enfant et antécédents depuis la naissance.
– Date de début de la boiterie, ancienne qui témoigne d’une affection progressive ou chronique, ou récente qui évoque une maladie aiguë d’apparition spontanée ou à la suite d’un traumatisme.
– Évolution, boiterie permanente ou survenant à l’effort.
– Existence de fièvre et de douleurs en sachant qu’il est fréquent chez le petit enfant qu’une affection de la hanche donne une douleur projetée au genou.
b) L’examen physique doit être effectué sur un enfant dévêtu. Il faut le regarder marcher puis debout en appui unipodal et enfin en position couchée. Il faudra noter :
– Le côté et le type de la boiterie.
– La mobilité passive des articulations de la hanche, du genou, du pied sans oublier le rachis.
– L’existence d’un point douloureux.
– Le volume de la cuisse et des mollets à la recherche d’une amyotrophie qui témoigne de l’organicité de la boiterie et terminer par un examen neurologique.
c) L’examen radiologique comprend systématiquement un cliché du bassin et des deux hanches de profil. Il peut être complété par des clichés des articulations suspectes et un grand cliché des membres inférieurs en entier, par une scintigraphie osseuse ou par une étude en tomodensitométrie ou en IRM selon l’orientation. Le bilan biologique comportera au minimum une numération formule sanguine et une vitesse de sédimentation.
La cause de la boiterie est évidente si on découvre une ecchymose localisée, un gonflement, une douleur en un point précis qui oriente sur un traumatisme, une infection, une tumeur ou une autre cause. Le reste de l’examen clinique et les examens paracliniques permettront de découvrir la cause.
La cause de la boiterie peut être plus difficile à découvrir lorsque la douleur n’est pas constante et si elle ne siège pas exactement sur la zone pathologique.
Il est impossible de dresser la liste des causes de boiterie qui sont nombreuses. Il est commode de les envisager en boiteries récentes et boiteries anciennes qui surviennent dans un contexte différent.

1) Boiteries récentes

Elles sont le plus souvent dues à une affection de la hanche.
Le rhume de hanche ou synovite aiguë transitoire est certainement la cause la plus fréquente de boiterie entre 3 et 7 ans mais doit toujours rester un diagnostic d’élimination. Il survient au décours d’un épisode rhinopharyngé et donne une limitation douloureuse des mouvements de la hanche. La radiographie est normale ou montre seulement un effacement des espaces intermusculaires et un léger élargissement de l’interligne articulaire de la hanche. La guérison sans séquelle survient après quelques jours de repos ou après évacuation de l’épanchement articulaire. L’important est de revoir l’enfant avec une radiographie du bassin car il peut s’agir d’une autre affection de la hanche.
L’ostéochondrite primitive de la hanche ou maladie de Legg Perthes Calve est une nécrose ischémique du noyau épiphysaire fémoral. Elle se rencontre presque dans la même tranche d’âge entre 4 et 10 ans, plus souvent chez le garçon que la fille. Au début, la radiographie du bassin est normale et seule la scintigraphie osseuse peut montrer un trou de fixation sur la tête fémorale. L’IRM rarement demandée permettrait également de faire un diagnostic précoce. Plus tard, apparaissent des anomalies sur la radiographie : condensation puis fragmentation du noyau épiphysaire, élargissement de l’interligne articulaire de la hanche. L’évolution dans les formes étendues se fait vers l’aplatissement de la tête fémorale d’où l’appellation de caxa plana donnée autrefois à la maladie.
L’épiphysiolyse fémorale supérieure est le glissement de la calotte épiphysaire par rapport à la métaphyse fémorale s’effectuant le plus souvent en bas et en arrière. Elle se rencontre chez des enfants souvent obèses (syndrome adiposo-génital) en période prépubertaire entre 11 et 13 ans. La hanche est en rotation externe et la flexion s’effectue en abduction-rotation externe et non de façon directe. Sur la radiographie du bassin de face, il existe un aspect feuilleté de cartilage de croissance épiphyso-métaphysaire, une diminution de hauteur du croissant épiphysaire bien objectivée en traçant une ligne parallèle au bord supérieur du col fémoral (ligne de Klein). Le déplacement est mieux apprécié sur une radiographie de la hanche de profil selon l’incidence de Dunn (en flexion de 90°, en abduction de 30-40° et rotation interne de 20°). L’évolution spontanée se fait vers l’aggravation du déplacement qui s’effectue soit progressivement, soit de façon aiguë. Le traitement en est plus difficile avec le double risque de nécrose épiphysaire et de raideur par coxite laminaire d’où l’importance de reconnaître précocement la maladie au début car le résultat alors est constamment favorable.
Le traumatisme souvent invoqué à l’origine de la plupart des affections de la hanche peut être responsable d’authentiques lésions surtout chez l’adolescent sportif : arrachement de la crête iliaque, d’une épine iliaque, de la tubérosité ischiatique ou du petit trochanter. Il peut s’agir chez le petit enfant d’un choc mineur ou de la torsion d’un membre inférieur coincé entre les barreaux d’un lit qui provoque une fracture intra-périostée sans déplacement. La radiographie peut paraître normale. Elle montre quelques jours plus tard un épaississement périoste diaphysaire et parfois la clarté linéaire de la fracture.
Devant un syndrome inflammatoire, il faut penser à une ostéomyélite subaiguë du col fémoral donnant une lacune arrondie métaphysaire sur la radiographie chez le petit enfant, à une arthrite subaiguë à pyogènes ou exceptionnellement tuberculeuse, à une monoarthrite au cours d’une arthrite chronique juvénile. Pour cette dernière, le diagnostic en est difficile car les tests habituellement positifs chez l’adulte sont négatifs. Il faut rechercher les anticorps antinucléaires, faire un examen ophtalmologique et au besoin une biopsie synoviale. 
Il ne faut pas oublier de radiographier le fémur en entier lorsque le cliché du bassin est normal car la lésion peut être située plus bas et être méconnue.
 Au niveau du genou et du pied, il existe de nombreuses affections responsables de boiteries :
– Ostéochondrite de croissance au niveau de la tubérosité tibiale antérieure, du condyle fémoral, de la rotule, du calcanéum, du scaphoïde ou de la tête de l’un des métatarsiens.
– Arthrites inflammatoires à pyogènes ou rhumatismales.
– Lésions mécaniques méniscales, subluxation de rotule, tendinite et luxation des tendons péroniers.
Lorsque l’examen des membres inférieurs reste normal, il faut encore penser à une affection du rachis : spondylodiscite ou sciatique et même à une affection à distance : psoitis par abcès ou inflammation du psoas au cours d’une appendicite.
En l’absence de cause précise, il faudra réexaminer l’enfant, reprendre l’étude radiologique après quelques jours, faire appel à des incidences spéciales, demander une scintigraphie osseuse qui peut permettre de localiser une lésion inapparente sur les radiographies standard comme une ostéochondrite primitive au début, une fracture de fatigue de la jambe ou du pied, un ostéome ostéoïde du cotyle, une arthrite sacro-iliaque. Si toutes les explorations sont normales, il faut penser à regarder la chaussure de l’enfant et rechercher s’il n’existe pas un facteur agressif comme un clou ou un caillou.

2) Boiteries anciennes.

Elles surviennent dans un contexte différent. Elles existent depuis le début de la marche ou sont apparues au décours d’une maladie.
La paralysie ou l’insuffisance du moyen fessier en est la cause la plus fréquente. Au cours de la luxation congénitale de hanche, la boiterie est due à la détente du moyen fessier du fait de l’ascension du fémur. Dans les formes bilatérales, la démarche est dandinante, en canard. Le diagnostic de luxation est facilement confirmé par la radiographie.. Les luxations pathologiques, séquelles d’arthrites septiques de hanche ainsi que toutes affections modifiant l’architecture de la hanche comme les coxa vara malformatives, les coxa vara infantiles ou les coxa vara succédant à une destruction du cartilage de croissance épiphyso-métaphysaire donnent une boiterie. Sur la radiographie, il existe une diminution de l’angle cervico-diaphysaire et une ascension du grand trochanter. Un grand nombre d’affections neurologiques s’accompagnent de boiterie soit par paralysie du moyen fessier soit parce qu’existe en plus une luxation de la hanche : la poliomyélite devenue exceptionnelle, la spina bifida avec myéloméningocèle, l’infirmité motrice cérébrale, les myopathies.
Pour terminer, il faut signaler la boiterie rencontrée dans les genu varum importants du rachitisme par exemple, dont le mécanisme se rapproche de celui des coxa vara en raison de l’obliquité des fémurs.
Il existe encore d’autres causes aux boiteries d’équilibration. Ce qui est important, c’est que le type de boiterie indique le groupe musculaire déficient et localise relativement l’affection responsable. Celle-ci reste à préciser par l’examen clinique et les examens paracliniques.