Introduction
La fracture du col fémoral chez l’enfant est un événement traumatologique rare, représentant moins de 1 % de l’ensemble des fractures pédiatriques. Malgré sa faible incidence, elle est universellement considérée comme une véritable urgence chirurgicale, dont le pronostic fonctionnel est potentiellement grevé de complications dévastatrices et permanentes. Le défi central de cette lésion réside dans la précarité de la vascularisation de la tête fémorale. Cette dernière est extrêmement vulnérable aux perturbations engendrées par le traumatisme initial et par les manœuvres thérapeutiques subséquentes. Cette fragilité vasculaire est la cause principale de la nécrose avasculaire (NAV), la complication la plus redoutée, qui conditionne l’ensemble du pronostic.
Il est fondamental de comprendre que la fracture du col fémoral de l’enfant n’est pas une simple version miniature de la fracture de l’adulte. Elle survient dans un environnement biologique fondamentalement différent : un squelette en croissance doté de propriétés anatomiques, biomécaniques et physiologiques uniques. Ces particularités influencent non seulement le type de fracture, mais également les stratégies de traitement et les résultats à long terme.
Cette revue a pour objectif de synthétiser les connaissances actuelles afin de proposer un guide complet couvrant la physiopathologie spécifique, les protocoles diagnostiques, la classification, les principes thérapeutiques et les complications majeures associées aux fractures du col fémoral en population pédiatrique.
L’Environnement Unique de la Hanche Pédiatrique : Considérations Anatomiques et Biomécaniques
1.1 Le Squelette en Développement : Un Paradigme Différent
L’os de l’enfant n’est pas un os adulte de petite taille ; c’est une structure dynamique en pleine croissance. Il se caractérise par une teneur en eau plus élevée, une plus grande porosité et une minéralisation moindre, ce qui lui confère une plasticité supérieure mais une résistance mécanique inférieure à celle de l’os adulte. Cette constitution explique pourquoi un traumatisme de faible énergie chez un jeune enfant peut provoquer une fracture qui nécessiterait un choc à haute énergie chez un adulte.
La présence de la physe, ou cartilage de croissance, est une caractéristique déterminante du squelette pédiatrique. Cette zone représente le point de moindre résistance mécanique d’un os long, la rendant susceptible à des types de lésions uniques, comme les fractures de Salter-Harris, dont la fracture de Delbet Type I est un équivalent. Toute lésion de la physe comporte un risque d’arrêt de croissance (épiphysiodèse), pouvant entraîner une inégalité de longueur des membres ou une déformation angulaire.
1.2 Le Rôle Protecteur du Périoste
Chez l’enfant, le périoste est considérablement plus épais, plus vascularisé et plus résistant que chez l’adulte. Lors d’une fracture, il reste souvent intact du côté de la compression, agissant comme une “charnière” ou un “hauban” qui facilite la réduction et confère une certaine stabilité au foyer de fracture. Ce périoste robuste contribue de manière significative à la rapidité de la consolidation et à l’important potentiel de remodelage osseux observé chez l’enfant.4
1.3 L’Anatomie Vasculaire Précaire du Fémur Proximal
La vascularisation de la tête fémorale pédiatrique est ténue et évolue avec l’âge, comme l’ont décrit les travaux de Trueta. Elle provient principalement des branches rétinaculaires de l’artère circonflexe fémorale médiale. Ces vaisseaux sont intracapsulaires et donc extrêmement vulnérables à un effet de tamponnade par l’hémarthrose (épanchement de sang dans l’articulation) ou à une déchirure directe lors d’une fracture déplacée. Contrairement à l’adulte, la contribution de l’artère du ligament rond est souvent négligeable chez l’enfant, ce qui signifie qu’il n’existe que peu ou pas de circulation collatérale pour sauver l’épiphyse si les vaisseaux rétinaculaires principaux sont compromis. Cette absence de redondance vasculaire est un facteur clé expliquant les taux élevés de nécrose avasculaire.
La conception anatomique même de la hanche de l’enfant crée un environnement à haut risque où la quasi-totalité des fractures, déplacées ou non, peuvent conduire à une catastrophe ischémique. Une fracture non déplacée peut provoquer une hémarthrose qui, en augmentant la pression intra-articulaire, comprime ces mêmes vaisseaux fragiles, tandis qu’une fracture déplacée les étire ou les déchire directement.1 Le risque de complication sévère n’est donc pas un aléa, mais une probabilité intrinsèquement liée à l’anatomie vasculaire de la hanche en croissance.
1.4 Forces Biomécaniques et Résistance à la Fracture
La hanche de l’enfant se distingue par un angle cervico-diaphysaire plus ouvert (coxa valga, jusqu’à 150° chez le jeune enfant) et une antéversion fémorale plus marquée que chez l’adulte. Cette configuration anatomique se traduit par une orientation plus verticale du col fémoral. Par conséquent, celui-ci est soumis principalement à des forces de compression plutôt qu’aux forces de cisaillement en “porte-à-faux” observées chez l’adulte.
Cet avantage biomécanique, combiné à la solidité du périoste et à la résilience de l’os spongieux, explique la résistance intrinsèque du col fémoral pédiatrique à la fracture. La rareté de cette lésion est donc la conséquence directe de cette combinaison unique de facteurs anatomiques et biomécaniques protecteurs. Il en découle qu’une fracture du col fémoral chez l’enfant signe presque toujours un événement traumatique à haute énergie, capable de surpasser ces protections inhérentes.
Épidémiologie, Étiologie et Suspicion de Maltraitance
2.1 Incidence et Démographie
Cette lésion représente moins de 1 % de toutes les fractures de la population pédiatrique. L’âge moyen de survenue se situe généralement entre 7 et 12 ans. On observe une prédominance masculine, avec un ratio d’environ 3 garçons pour 1 fille.
2.2 Mécanismes Lésionnels : L’Impératif de la Haute Énergie
La grande majorité de ces fractures résulte d’un traumatisme sévère à haute énergie. Les causes les plus fréquemment rapportées sont les chutes d’un lieu élevé (par exemple, d’un arbre, d’un bâtiment) et les accidents de la voie publique, que l’enfant soit piéton ou passager d’un véhicule. Le patient est souvent un polytraumatisé, et la fracture du col fémoral peut n’être qu’une des multiples lésions engageant le pronostic vital, nécessitant une prise en charge traumatologique coordonnée. Dans de rares cas, des fractures peuvent survenir sur un os pathologique (par exemple, un kyste osseux essentiel) à la suite d’un traumatisme minime.
L’association fréquente avec un polytraumatisme engendre un paradoxe clinique dangereux. La sévérité même de l’accident initial, qui cause la fracture de hanche, entraîne d’autres lésions (traumatismes crâniens, thoraciques, abdominaux) qui doivent être stabilisées en priorité. Ce délai nécessaire pour sauver la vie du patient compromet directement la viabilité à long terme de la tête fémorale, car un traitement retardé au-delà de 24 heures augmente significativement le risque de nécrose avasculaire. Cela met en évidence la pression intense qui pèse sur l’équipe de traumatologie pour stabiliser rapidement le patient afin de permettre une intervention orthopédique urgente.
2.3 Lésion Non Accidentelle (LNA) : Un Diagnostic Différentiel Critique
Si le traumatisme à haute énergie est la règle chez l’enfant plus âgé, la présence d’une fracture du fémur, quelle que soit sa localisation, chez un nourrisson ou un enfant non marchant est un signal d’alarme majeur de maltraitance.4 Certaines données indiquent que 40 % à 80 % des fractures du fémur chez les enfants de moins d’un an pourraient être imputables à des sévices.
Cette bimodalité étiologique (accident à haute énergie contre sévices à faible énergie) crée un pivot diagnostique critique entièrement basé sur le stade de développement de l’enfant. Pour un enfant de 10 ans, l’attention se porte sur la gestion orthopédique et les lésions traumatiques associées. Pour un nourrisson de 10 mois, la priorité absolue devient la protection de l’enfant ; la fracture devient alors une preuve dans une enquête beaucoup plus large et urgente sur sa sécurité. L’atteinte orthopédique est secondaire à l’urgence sociale et judiciaire.
Un indice de suspicion élevé est donc obligatoire. L’histoire clinique fournie par les parents ou les tuteurs doit être examinée avec soin pour en vérifier la plausibilité ; elle doit clairement décrire un événement traumatique violent pour être crédible.
Bilan obligatoire en cas de suspicion de LNA
- Examen physique complet : Il faut documenter toutes les lésions cutanées (ecchymoses d’âges différents, cicatrices), le périmètre crânien, la taille des fontanelles, la couleur des sclérotiques (des sclérotiques bleues peuvent suggérer une ostéogenèse imparfaite) et la présence d’hémorragies rétiniennes.
- Consultation ophtalmologique : Un examen du fond d’œil à la recherche d’hémorragies rétiniennes est indispensable, car c’est un signe très évocateur de traumatisme crânien infligé.
- Bilan radiologique du squelette : Une série de radiographies du corps entier est nécessaire pour identifier d’autres fractures, en particulier celles d’âges différents (par exemple, des côtes en cours de consolidation), qui sont pathognomoniques de traumatismes répétés.
- Neuro-imagerie (TDM/IRM) : Elle vise à exclure une lésion intracrânienne associée.
- Évaluation biologique : Des examens sanguins sont réalisés pour écarter une maladie osseuse métabolique ou des troubles de la coagulation. Ce bilan inclut un hémogramme, des tests de fonction rénale et hépatique, ainsi que les taux de calcium, phosphate, phosphatase alcaline, parathormone et vitamine D.
- Signalement : Tout cas suspect doit impérativement être signalé aux services de protection de l’enfance.
Présentation Clinique et Imagerie Diagnostique
3.1 Signes et Symptômes Cliniques
La présentation clinique est généralement spectaculaire. L’enfant se présente avec une douleur intense au niveau de la hanche ou de l’aine et une incapacité totale à mettre du poids sur le membre atteint ou à le mobiliser activement (impotence fonctionnelle). À l’examen, le membre peut apparaître raccourci et en rotation externe, un signe classique de fracture déplacée. Toute tentative de mobilisation passive de la hanche est accueillie par une douleur extrême et de l’appréhension.
3.2 Le Rôle Central de l’Imagerie Radiographique
Le diagnostic est confirmé par des radiographies standards du bassin et de la hanche. Le protocole standard inclut une radiographie du bassin de face (permettant une comparaison avec le côté controlatéral) et une incidence de profil strict ou un profil de Lauenstein (frog-leg) de la hanche atteinte.
Cependant, en cas de déplacement important et de douleur majeure, une manipulation excessive pour obtenir une incidence de profil doit être évitée afin de ne pas aggraver les lésions vasculaires ; une radiographie de face peut être suffisante pour le diagnostic initial et la planification préopératoire. Ce point soulève un dilemme clinique : la nécessité d’une imagerie complète doit être mise en balance avec l’impératif de protéger la vascularisation de la tête fémorale. Le chirurgien doit évaluer si l’information supplémentaire d’un profil justifie le risque réel de transformer iatrogéniquement une tête fémorale sauvable en une tête destinée à la nécrose. Dans le cas d’une fracture clairement déplacée sur l’incidence de face, il peut être plus prudent de procéder directement au bloc opératoire pour une réduction sous anesthésie, où une imagerie stable et sûre peut être obtenue.
Les radiographies sont essentielles non seulement pour le diagnostic, mais aussi pour classifier la fracture selon le système de Delbet, une étape cruciale pour déterminer le plan de traitement et le pronostic.
3.3 Indications pour une Imagerie Avancée
En cas de forte suspicion clinique mais de radiographies standards équivoques ou négatives (par exemple, une fracture de fatigue ou une fracture occulte non déplacée), l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) est l’examen de choix. Elle est extrêmement sensible pour détecter l’œdème médullaire osseux et le trait de fracture lui-même. La Tomodensitométrie (TDM) peut être utile pour la planification préopératoire dans les cas de fractures complexes, en fournissant des informations détaillées sur la comminution et l’orientation des fragments.
La Classification de Delbet : Un Cadre pour la Prise en Charge et le Pronostic
La classification de Delbet, popularisée par Colonna, est le système le plus largement utilisé pour les fractures du col fémoral chez l’enfant. Elle est simple, universellement comprise et fournit un cadre essentiel à la fois pour la prise de décision thérapeutique et pour la prédiction du risque de complications, en particulier la nécrose avasculaire. Cette classification catégorise les fractures en fonction de leur localisation anatomique par rapport à la physe et à la tête fémorale.
4.1 Type I : Fracture Trans-épiphysaire
- Description : Fracture qui sépare l’épiphyse fémorale capitale du col fémoral, en passant par le cartilage de croissance. C’est l’équivalent pédiatrique d’une lésion de Salter-Harris de type I ou II.
- Incidence : C’est le type le plus rare, représentant 5 à 10 % des cas.
- Pronostic : Ce type de fracture présente le risque le plus élevé de nécrose avasculaire, avec des taux rapportés atteignant 80 à 90 %, voire 100 % dans certaines séries. Le pronostic est exceptionnellement mauvais en raison de la perturbation quasi complète de l’apport sanguin épiphysaire à son point d’entrée. Un meilleur pronostic est cependant noté chez les très jeunes enfants (moins de 2 ans) et dans les cas de fracture obstétricale.
4.2 Type II : Fracture Transcervicale
- Description : Fracture qui traverse la partie moyenne du col fémoral. C’est le type le plus fréquent.
- Incidence : Représente environ 50 % de toutes les fractures du col fémoral pédiatrique.
- Pronostic : Le risque de NAV reste très élevé, estimé entre 50 et 60 % pour les fractures déplacées. Le risque est directement proportionnel au degré de déplacement initial, qui est corrélé à l’étendue des lésions vasculaires.
4.3 Type III : Fracture Basicervicale (ou Cervico-trochantérienne)
- Description : Fracture située à la base du col fémoral, à sa jonction avec le massif trochantérien.
- Incidence : C’est le deuxième type le plus courant, représentant environ 30 % des cas.
- Pronostic : Le risque de NAV est plus faible que pour les types I et II, se situant autour de 30 %. Cela s’explique par le fait que la fracture est plus distale (potentiellement extra-capsulaire), ce qui peut préserver une plus grande partie de la vascularisation proximale.
4.4 Type IV : Fracture Intertrochantérienne
- Description : Trait de fracture qui passe entre le grand et le petit trochanter.
- Incidence : Représente 10 à 15 % des cas.
- Pronostic : Ce type a le meilleur pronostic des quatre, avec un risque de NAV très faible (rapporté entre 0 et 12 %). La fracture est entièrement extra-capsulaire, laissant intacte la cruciale vascularisation rétinaculaire de la tête fémorale.
Tableau 1 : Résumé de la Classification de Delbet pour les Fractures du Col Fémoral chez l’Enfant
Type Delbet | Description Anatomique | Incidence Rapportée | Risque Relatif de Nécrose Avasculaire (NAV) |
I | Trans-épiphysaire (Salter-Harris I/II) | ~5-10 % | Très Élevé (jusqu’à 90 %) |
II | Transcervicale | ~50 % | Élevé (50-60 %) |
III | Basicervicale / Cervico-trochantérienne | ~30 % | Modéré (~30 %) |
IV | Intertrochantérienne | ~10-15 % | Faible (<15 %) |
Principes et Stratégies d’Intervention Thérapeutique
5.1 L’Urgence du Traitement : Une Course Contre l’Ischémie
Il existe un consensus fort sur le fait que cette fracture constitue une urgence chirurgicale. L’objectif principal de l’intervention en urgence est double : décomprimer l’articulation en évacuant l’hémarthrose et restaurer le flux sanguin en obtenant une réduction anatomique. Tout retard dans le traitement est un facteur de risque indépendant et significatif de NAV. L’intervention chirurgicale doit idéalement être réalisée dans les 24 heures, certaines études suggérant une fenêtre optimale de moins de 12 heures pour minimiser les dommages ischémiques.
5.2 Objectifs Fondamentaux du Traitement
- Réduction Anatomique : Un réalignement parfait ou quasi parfait des fragments de fracture est primordial. Une mauvaise réduction est un facteur prédictif majeur de mauvais résultats.
- Fixation Interne Stable : La réduction doit être maintenue de manière sécurisée par un matériel approprié pour permettre la consolidation et prévenir tout déplacement secondaire.
- Préservation de la Physe (si possible) : Le matériel de fixation doit éviter de traverser le cartilage de croissance lorsque cela est possible, bien que la priorité reste une fixation stable.
- Mobilisation Précoce : Bien que la mise en charge soit restreinte, une fixation stable permet une manipulation plus sûre du patient et une mobilisation précoce, réduisant ainsi les complications liées à un alitement prolongé.
5.3 Modalités de Traitement par Type de Fracture et Déplacement
- Traitement Non Chirurgical (Plâtre Pelvi-pédieux) :
Cette option est réservée à un très petit sous-ensemble de patients : typiquement les jeunes enfants (moins de 4 à 8 ans) présentant des fractures de Delbet de type I ou IV totalement non déplacées. Elle n’est généralement pas recommandée pour les fractures de type II ou III, quel que soit l’âge ou le déplacement, en raison du risque élevé de déplacement secondaire dans le plâtre. Une surveillance radiographique rapprochée est obligatoire si cette option est choisie. L’algorithme de traitement révèle un fort biais contre le traitement non chirurgical, même pour les fractures non déplacées. Cette approche agressive reflète les enjeux élevés et la nature impitoyable de la lésion. Le principe orthopédique pédiatrique standard de “faire confiance au remodelage” ne s’applique pas ici. Le coût biologique de la perte de réduction est si élevé qu’une stabilisation chirurgicale prophylactique est justifiée dans des cas où un plâtre serait acceptable pour d’autres localisations de fracture.
- Traitement Chirurgical : Techniques de Réduction
- Réduction Fermée : C’est l’approche initiale privilégiée. Elle consiste en des manœuvres douces de traction et de manipulation sous contrôle fluoroscopique pour réaligner les fragments. Des tentatives multiples et forcées doivent être évitées car elles peuvent endommager davantage la vascularisation.
- Réduction Ouverte : Elle est indiquée lorsqu’une réduction anatomique fermée ne peut être obtenue. Une voie d’abord antérieure est souvent utilisée car elle permet une visualisation directe de la fracture sans perturber la vascularisation postérieure.22 Certains chirurgiens préconisent une arthrotomie systématique (ouverture de la capsule articulaire) pour évacuer l’hématome compressif.
- Traitement Chirurgical : Matériel de Fixation Interne
Le choix de l’implant dépend du type de fracture, de l’âge du patient et des préférences du chirurgien. L’évolution des techniques chirurgicales, passant du simple plâtre à une approche sophistiquée basée sur des implants, est une réponse directe aux mauvais résultats historiques du traitement conservateur. Les taux élevés de complications comme la pseudarthrose, la coxa vara et la NAV observés avec les traitements conservateurs ont stimulé l’innovation et l’adoption des techniques de fixation interne.
- Delbet Type I : La fixation doit traverser la physe. Des broches lisses (de Kirschner) ou des vis canulées sont utilisées. Le matériel doit être retiré après consolidation pour prévenir un arrêt de croissance.
- Delbet Types II & III : Les vis canulées sont le choix le plus courant, généralement placées en triangle inversé. Chez les jeunes enfants ou pour les fractures plus distales, le matériel doit rester en aval de la physe. Pour les fractures instables, une vis-plaque dynamique pédiatrique (pediatric sliding hip screw – SHS) ou une lame-plaque peut être utilisée.
- Delbet Type IV : Chez les enfants plus âgés, une vis-plaque dynamique pédiatrique est indiquée. Les plus jeunes enfants peuvent être traités par un plâtre pelvi-pédieux.
Complications : Le Défi Majeur de la Fracture du Col Fémoral chez l’Enfant
Malgré un traitement optimal, le taux de complications des fractures du col fémoral pédiatrique reste élevé, certaines sources indiquant qu’environ un tiers de tous les cas développent une forme de complication. Ces complications peuvent entraîner une morbidité et un handicap importants à long terme.
6.1 Nécrose Avasculaire (NAV) de la Tête Fémorale
- Physiopathologie : La NAV, ou ostéonécrose, est la mort ischémique de l’os de la tête fémorale due à l’interruption de son apport sanguin. L’os nécrosé finit par s’effondrer, entraînant une perte de sphéricité, une incongruence articulaire et une arthrose précoce et invalidante.
- Incidence et Facteurs de Risque : C’est la complication la plus fréquente et la plus grave.2 Son incidence est directement corrélée à la classification de Delbet (la plus élevée pour le type I, la plus faible pour le type IV) et au degré de déplacement initial de la fracture. Une intervention chirurgicale tardive (plus de 24h) et une qualité de réduction médiocre sont également des facteurs contributifs majeurs.
- Diagnostic et Prise en Charge : La NAV se développe généralement dans les deux ans suivant le traumatisme.25 Les premiers signes sont la douleur et la limitation de la mobilité. La scintigraphie osseuse ou l’IRM peuvent la détecter avant que les modifications ne soient visibles sur les radiographies. Chez les jeunes enfants, un certain potentiel de remodelage existe, mais dans la plupart des cas, les dommages sont irréversibles et peuvent nécessiter à terme des ostéotomies de préservation articulaire ou, bien plus tard dans la vie, une arthroplastie totale de hanche.
6.2 Coxa Vara
- Physiopathologie : Déformation post-traumatique où l’angle cervico-diaphysaire est diminué (le col devient plus horizontal). Elle peut résulter d’un cal vicieux (consolidation en mauvaise position) ou, plus fréquemment, d’un arrêt de croissance partiel de la physe dû au traumatisme initial ou à la NAV.
- Incidence : C’est la deuxième complication la plus fréquente après la NAV, avec des taux rapportés d’environ 17 %.
- Conséquences et Prise en Charge : La coxa vara entraîne une inégalité de longueur des membres, une boiterie de Trendelenburg (dandinement) et une altération de la mécanique articulaire qui peut accélérer l’arthrose. Le traitement est chirurgical, consistant généralement en une ostéotomie de valgisation (correctrice) du fémur proximal.
6.3 Pseudarthrose (Non-consolidation)
- Physiopathologie : Échec de la consolidation de la fracture dans les délais attendus (généralement 6 mois).25 Elle est plus fréquente dans les fractures transcervicales (Type II) en raison de la faible vascularisation du col lui-même et des forces de cisaillement qui s’exercent sur le site de la fracture.
- Incidence : Les taux rapportés sont d’environ 8 %.1 L’incidence a diminué avec l’adoption de la fixation interne stable.
- Prise en Charge : La pseudarthrose nécessite une intervention chirurgicale. Une ostéotomie de valgisation est souvent réalisée pour transformer les forces biomécaniques au niveau de la fracture, passant du cisaillement à la compression, ce qui favorise la consolidation.
6.4 Fermeture Prématurée de la Physe (Épiphysiodèse)
- Physiopathologie : Formation d’un pont osseux à travers le cartilage de croissance, entraînant un arrêt partiel ou complet de la croissance. Cela peut être causé par le traumatisme initial (en particulier dans les fractures de type I) ou de manière iatrogène par du matériel de fixation traversant la physe.
- Conséquences : Si la fermeture est centrale, elle entraîne une inégalité de longueur des membres. Si elle est périphérique, elle provoque une déformation angulaire (par exemple, varus ou valgus).
- Prise en Charge : Nécessite une surveillance à long terme. Le traitement peut aller de l’épiphysiodèse controlatérale pour égaliser la longueur des jambes à des ostéotomies correctrices complexes.
Tableau 2 : Complications Majeures des Fractures du Col Fémoral chez l’Enfant
Complication | Mécanisme Physiopathologique | Facteurs de Risque Clés | Approche Thérapeutique Principale |
Nécrose Avasculaire (NAV) | Mort osseuse ischémique par rupture vasculaire | Delbet Type I/II, déplacement, chirurgie tardive | Principalement de soutien, ostéotomie potentielle, arthroplastie à terme |
Coxa Vara | Cal vicieux ou arrêt de croissance asymétrique | Mauvaise réduction, NAV, lésion de la physe | Ostéotomie correctrice de valgisation |
Pseudarthrose | Échec de la consolidation de la fracture | Delbet Type II, fixation instable | Ostéotomie de valgisation avec greffe osseuse |
Épiphysiodèse Prématurée | Formation d’un pont osseux traumatique ou iatrogène | Delbet Type I, matériel traversant la physe | Ostéotomie correctrice, épiphysiodèse controlatérale |
Conclusion : Synthèse et Recommandations Finales
La fracture du col fémoral chez l’enfant, bien que rare, représente l’un des défis les plus importants de la traumatologie orthopédique. Sa prise en charge est dictée par les propriétés anatomiques et biomécaniques uniques de la hanche en croissance et par la menace omniprésente de la compromission vasculaire.
Les données probantes soutiennent fermement un paradigme de traitement fondé sur trois piliers : 1) un indice de suspicion élevé, en particulier pour les lésions non accidentelles chez le nourrisson ; 2) la reconnaissance de la lésion comme une véritable urgence chirurgicale nécessitant une intervention dans les 24 heures ; et 3) un engagement sans faille pour obtenir une réduction anatomique et une fixation interne stable.
Le pronostic est réservé et dépend en fin de compte de la viabilité de la tête fémorale. La nécrose avasculaire reste le principal déterminant d’un mauvais résultat. Compte tenu du taux élevé de complications tardives telles que les troubles de la croissance et les déformations, tous les enfants ayant subi cette lésion nécessitent un suivi clinique et radiographique diligent et à long terme, jusqu’à la maturité squelettique.
La prise en charge réussie d’une fracture du col fémoral chez l’enfant témoigne d’une compréhension approfondie de l’anatomie pédiatrique, d’une exécution chirurgicale rapide et précise, et d’un engagement envers des soins à long terme. L’objectif n’est pas simplement de guérir un os cassé, mais de préserver la fonction future d’une hanche en croissance pour toute une vie.